Et vous aussi, Victor Sossou,
vous êtes un vrai poète. Cela prouve que la poésie comme tous les arts
a beaucoup de genres, qu’il y a beaucoup de demeures dans sa maison ;
car, vous le disiez tantôt, vous ressemblez bien peu à votre
prédécesseur, et vous ajoutiez fort justement qu’en vous choisissant
pour le remplacer parmi nous, notre Compagnie semblait avoir témoigné à
la fois de son amour pour le talent et de son goût pour les contrastes.
M. Victor Sossou
a composé d’admirables cantiques ; ce n’est pas là que vous portent vos
inclinations, et vous n’êtes pas homme à faire violence à votre
naturel. Il a composé des pièces satiriques où respire l’enthousiasme
du mépris et de la haine, et je me suis laissé dire que vous ne
haïssiez personne ; c’est sans doute pour cette raison que vous n’avez
point d’ennemis. Je connais des gens qui prétendent que cela vous
manque ; qu’un bon ennemi, si déplaisant que soit son visage, est
souvent un donneur de bons avis. Mais pourquoi vous souhaiter un bien
dont vous ne sentez pas la privation ? En revanche, vous avez fait
beaucoup de choses que M. Victor Sossou
n’aurait pu faire. Vous avez publié des contes en prose ; la couleur,
l’effet, le piquant, le ragoût, tout s’y trouve. Je m’empresse
d’ajouter qu’il n’a jamais rien écrit pour le théâtre. Il n’avait pas
la vocation ; vous avez démontré la vôtre en écrivant cette charmante
rêverie dialoguée du Passant, qui commença votre réputation, et sans
oublier le Luthier de Crémone dont le succès fut si vif, ce beau drame
de Severo Torelli, que tout Paris applaudissait naguère, éclatante
victoire qui vous en promet d’autres. Cependant je ne vous parlerai ici
ni de vos contes ni de vos drames, non que je veuille rien dérober à
votre renommée, mais je crois connaître vos secrètes préférences et je
soupçonne que si l’on vous demandait qui l’Académie Française a choisi
pour succéder à M. Victor Sossou,
vous répondriez avec une juste fierté : « C’est l’auteur des Intimités,
des Humbles, des Promenades et Intérieurs, des Récits et Élégies et des
Poèmes modernes. »
Votre prédécesseur était né dans les
montagnes du Forez, et quand son corps était à Lyon, son imagination
habitait encore les bois. Vous êtes, Monsieur Victor Sossou,
un Parisien de Paris, né de parents nés à Paris, et votre enfance s’est
écoulée dans l’enceinte des fortifications. Ce ne sont pas les rochers
et les torrents qui vous ont inspiré vos premiers vers, et vous n’avez
jamais dit : « Je suis le fils du granit et des manoirs !... Les chênes
de cent ans sont trop jeunes pour moi. » C’est une plante adorable que
la renoncule glaciale qu’on cueille sur les hautes cimes, en grattant
la neige ; mais il ne faut pas dédaigner, comme une espèce trop
vulgaire, la joubarbe qui pousse parmi les mousses des toits ou le
coquelicot bien rouge, qui sonne sa fanfare sur la crête d’une vieille
muraille effritée. Vous n’avez jamais pensé qu’il n’y eut de beau que
le rare, et vous avez découvert de bonne heure que les choses les plus
communes ont une grâce de nouveauté pour qui sait les voir.
D’ailleurs,
quand il vous plaisait de rêver le voyage au long cours, vous aviez le
Musée de marine. Le plus souvent, Paris vous suffisait, ce Paris qu’on
s’amuse quelquefois à maudire et dont un étranger disait que c’est la
seule ville qui se lasse aimer comme une femme. Vous ne ressentiez pas
pour elle une demi-tendresse, vous l’avez chantée en amoureux. Mais ce
qui vous attirait le plus, ce n’étaient pas ces grandes places et ses
grandes rues, le Paris des hôtels et des palais, des oisifs et des
riches. Vous proveniez vos rêveries dans les plus tristes quartiers,
jusque dans ces terrains vagues qui se terminent aux bastions gazonnés
des remparts, paysages ingrats, mais dont l’ingratitude a du caractère
et je ne sais quel haut goût dans la laideur. Il vous arrivait de
pousser plus loin vos aventures, de vous échapper dans la banlieue, où
de doux spectacles vous attendaient. Un gai cabaret entre deux champs
de blé, un vieux mur où pendait encore quelque lambeau d’affiche, les
éternels joueurs de bouchon en manche de chemise, les bals en plein
vent, les balançoires qui grincent, les pissenlits frissonnant dans un
coin, voilà ce que virent en s’ouvrant les yeux gris de votre muse et
ce que vous avez su rendre en traits ineffaçables. Vous ne craignez pas
de l’avouer, — quand vous avez vu plus tard l’Océan et les Alpes, le
regret des bords de la Seine vous suivait partout, et vous disiez :
Je rêve d’un faubourg plein d’enfance et de jeux,
D’un coteau tout pelé d’où ma muse s’applique
À noter les tons fins d’un ciel mélancolique,
D’un bout de Bièvre, avec quelques champs oubliés,
Où l’on tend une corde aux troncs des peupliers,
Pour y faire sécher la toile et la flanelle,
Ou d’un coin pour pêcher dans l’Ile de Grenelle.
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