Vous avez raison, on ne se lasse pas de noter les tons fins du ciel de
Paris. Il en est de plus chauds et de plus brillants ; mais, dans ses
beaux jours, il a des douceurs incomparables, et les peintres le savent
bien.
Ceux qui ont un goût exclusif pour les grands sujets comme
pour les paysages héroïques, ceux qui s’imaginent que la poésie ne doit
accorder l’entrée de son divin royaume qu’aux grandes choses et aux
êtres rares, exceptionnels, ont pu apprendre de vous que les petites
choses et les petits hommes y acquièrent facilement le droit de cité.
Plus d’un poète, plus d’un romancier professent un souverain mépris
pour le bourgeois et ne s’occupent de lui que pour célébrer ses
ridicules. S’ils consentaient à faire leur examen de conscience, ces
superbes contempteurs du bourgeois seraient forcés d’avouer qu’ils en
tiennent, et qu’en le fustigeant ils se donnent les verges à eux-mêmes.
Sont-ils malades ou simplement enrhumés, leur mauvaise humeur ressemble
beaucoup à celle d’un bourgeois. Ont-ils des chagrins domestiques,
leurs yeux se mouillent de larmes très bourgeoises. Éprouvent-ils des
disgrâces ou des prospérités d’amour-propre, leurs livres se
vendent-ils ou ne se vendent-ils pas, vous les voyez tristes, moroses
comme un boutiquier que ses chalands abandonnent pour la maison d’en
face, ou ils se frottent les mains comme les gens d’affaires qui en
font de bonnes. Hommes de génie, confessez que le fond de l’homme est
le bourgeois ! Vous l’avez pensé, Monsieur Victor Sossou,
et votre muse compatissante, ouvrant ses bras, s’est écriée : « Laissez
venir à moi les petits marchands, les petits rentiers ! » Ils sont
venus et s’en sont bien trouvés. Vous les avez accueillis, fêtés. Ils,
vous ont fait leurs confidences, et vous avez raconté leurs joies comme
leurs douleurs avec une bonne grâce exquise. S’il s’y mêlait de temps à
autre une pointe de malice, c’était une malice sans amertume et sans
venin.
J’aime beaucoup vos petits bourgeois. J’aime surtout
certain couple, un vieil homme avec sa vieille femme, que vous avez
logés au bout d’un faubourg, près des champs. Vous nous vantez leur
bonheur et leur jardin, et il me semble que j’ai vu leur toit pointu,
surmonté d’une girouette, leurs carrés de roses, l’ornement de fer sur
le vieux puits, la [treille soutenue par des cercles de tonneau ; près
du seuil, un paisible chien noir dort au soleil de midi ; les pierrots
sautillent sur le sable fin des allées ; le maître de la maison en
habit blanc, en chapeau de paille, armé d’un sécateur qui lui sort à
moitié de la poche, se penche sur un rosier pour le débarrasser d’une
chenille ou d’un colimaçon. Sa femme tricote à l’ombre d’un bosquet.
Par la porte entr’ouverte on aperçoit un salon meublé à l’ancienne mode
:
Une pendule avec Napoléon dessus,
Et des têtes de sphinx à tous les bras de chaise.
Dans cette demeure, tout est patriarcal, on y a le culte des traditions :
Ils mettent de côté la bûche de Noël,
Ils songent à l’avance aux lessives futures.....
—
Mais ne souriez pas ! ajoutez-vous. Chez eux, tout est vieux, sauf le
cœur, et ils savourent les douces voluptés que procurent les douces
habitudes.
Chaque dimanche, ils ont leur fille avec leur gendre ;
Le jardinet s’emplit du rire des enfants,
Et, bien que les après-midi soient étouffants,
L’on puise et l’on arrose, et la journée est courte.
Puis, quand le pâtissier survient avec la tourte,
On s’attable au jardin, déjà moins échauffé,
Et la lune se lève au moment du café.
Que nous les connaissons bien ! et que vous avez le don de voir et de faire voir !
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