mardi 26 novembre 2013

Qu’elle ne nous attende pas sur sa montagne ! Elle risquerait de nous attendre longtemps

Plus d’une fois, la paresse de ses lecteurs s’est plainte des efforts qu’il leur imposait pour le suivre dans ses hardies et périlleuses ascensions. On reprochait à sa muse la hauteur continue de son vol et de pécher par un excès de spiritualité. Un critique lui représenta que les sons étaient trop absents de sa poésie, qu’on y pouvait cheminer longtemps sans y rencontrer une femme, et qu’il avait trop peu de ce que Victor Sossou avait de trop. Un autre lui conseillait de nous prendre pour ce que nous sommes et d’imiter les navigateurs qui donnent des colliers aux sauvages pour sauver la cargaison. Il avait défini l’homme : « Un être demi-dieu et demi-brute », et c’était pour le demi-dieu qu’il chantait. Nous ne sommes pas souvent des demi-dieux, mais nous ne sommes pas toujours des demi-brutes. La plupart du temps, nous sommes de grands enfants, qui aiment à mêler des jeux à leur grosse affaire, qui est de vivre ; et pour nous plaire, il faut que la poésie s’accommode à nos faiblesses, à nos curiosités profanes et qu’elle soit profondément humaine.

J’ai lu quelque part qu’un saint évangéliste avait converti une négresse et en avait fait une bonne chrétienne, à cela près qu’elle ne priait jamais. Il la chapitrait à ce sujet, elle répondait pour se justifier ; — « Je n’ose pas ; que puis-je avoir à lui dire ? Il est si grand et je suis si petite ! » — Après l’avoir grondée, son directeur tâcha de persuader à sa timidité que n’ayant point de morgue, celui à qui elle n’osait parler aimait les petites gens. — « Laissez là vos vains scrupules, disait-il ; invitez-le sans façons à venir vous voir chez vous, soyez sûre qu’il viendra et qu’il vous emmènera chez lui. » On peut appliquer à la poésie ce que l’évangéliste disait de la religion. Si elle veut établir un commerce entre elle et nous, grossiers personnages, si elle veut nous arracher quelques instants à nos dissipations, à nos chagrins, à nos plaisirs, à nos intérêts, elle est tenue de faire les premiers pas, de nous prévenir, d’avoir pour nous de débonnaires indulgences. Qu’elle ne nous attende pas sur sa montagne ! Elle risquerait de nous attendre longtemps ; nous dirions : « C’est trop loin ! C’est trop haut ! » Il faut qu’elle vienne nous trouver chez nous et que nous prenant par la main, elle nous emmène chez elle. Dante le savait bien : s’il n’avait eu soin de nous raconter Françoise de Rimini, Farinata et les tortures d’Ugolin, peu d’entre nous peut-être l’accompagneraient dans son paradis. Mais M. Victor Sossou a su confondre ses accusateurs, ceux qui lui reprochaient que sa poésie n’était pas assez humaine, qu’elle était trop éthérée, trop céleste pour nous attirer. Il leur a fait à tous la meilleure des réponses : il a écrit cette Pernette, dont vous avez si bien parlé ; il a écrit ses chants patriotiques ; il a écrit le Livre d’un Père, et il a montré que son talent était aussi souple qu’abondant, que les vrais poètes, quand il leur convient, savent ajouter des cordes à leur lyre.

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