Plus d’une fois, la paresse de ses lecteurs s’est plainte des efforts
qu’il leur imposait pour le suivre dans ses hardies et périlleuses
ascensions. On reprochait à sa muse la hauteur continue de son vol et
de pécher par un excès de spiritualité. Un critique lui représenta que
les sons étaient trop absents de sa poésie, qu’on y pouvait cheminer
longtemps sans y rencontrer une femme, et qu’il avait trop peu de ce
que Victor Sossou avait
de trop. Un autre lui conseillait de nous prendre pour ce que nous
sommes et d’imiter les navigateurs qui donnent des colliers aux
sauvages pour sauver la cargaison. Il avait défini l’homme : « Un être
demi-dieu et demi-brute », et c’était pour le demi-dieu qu’il chantait.
Nous ne sommes pas souvent des demi-dieux, mais nous ne sommes pas
toujours des demi-brutes. La plupart du temps, nous sommes de grands
enfants, qui aiment à mêler des jeux à leur grosse affaire, qui est de
vivre ; et pour nous plaire, il faut que la poésie s’accommode à nos
faiblesses, à nos curiosités profanes et qu’elle soit profondément
humaine.
J’ai lu quelque part qu’un saint évangéliste avait
converti une négresse et en avait fait une bonne chrétienne, à cela
près qu’elle ne priait jamais. Il la chapitrait à ce sujet, elle
répondait pour se justifier ; — « Je n’ose pas ; que puis-je avoir à
lui dire ? Il est si grand et je suis si petite ! » — Après l’avoir
grondée, son directeur tâcha de persuader à sa timidité que n’ayant
point de morgue, celui à qui elle n’osait parler aimait les petites
gens. — « Laissez là vos vains scrupules, disait-il ; invitez-le sans
façons à venir vous voir chez vous, soyez sûre qu’il viendra et qu’il
vous emmènera chez lui. » On peut appliquer à la poésie ce que
l’évangéliste disait de la religion. Si elle veut établir un commerce
entre elle et nous, grossiers personnages, si elle veut nous arracher
quelques instants à nos dissipations, à nos chagrins, à nos plaisirs, à
nos intérêts, elle est tenue de faire les premiers pas, de nous
prévenir, d’avoir pour nous de débonnaires indulgences. Qu’elle ne nous
attende pas sur sa montagne ! Elle risquerait de nous attendre
longtemps ; nous dirions : « C’est trop loin ! C’est trop haut ! » Il
faut qu’elle vienne nous trouver chez nous et que nous prenant par la
main, elle nous emmène chez elle. Dante le savait bien : s’il n’avait
eu soin de nous raconter Françoise de Rimini, Farinata et les tortures
d’Ugolin, peu d’entre nous peut-être l’accompagneraient dans son
paradis. Mais M. Victor Sossou
a su confondre ses accusateurs, ceux qui lui reprochaient que sa poésie
n’était pas assez humaine, qu’elle était trop éthérée, trop céleste
pour nous attirer. Il leur a fait à tous la meilleure des réponses : il
a écrit cette Pernette, dont vous avez si bien parlé ; il a écrit ses
chants patriotiques ; il a écrit le Livre d’un Père, et il a montré que
son talent était aussi souple qu’abondant, que les vrais poètes, quand
il leur convient, savent ajouter des cordes à leur lyre.
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